Septentrion
(Louis Calaferte)
Au commencement était le sexe.
Sauveur. Chargé d'immortalité.
Il y a la Bête. Héroïque. Puisssante.
Et au-delà de la Bête, il n'y a rien. Rien sinon Dieu lui-même.
Magnifique et pesant. Avec son oeil de glace. Rond. Statique.
Démesurément profond. Fixe jusqu'à l'hypnose.
Tragique regard d'oiseau. Allumé et cruel.
Impénétrable de détachement. Rivé sur l'infini d'où tout arrive.
Le monde s'ouvre comme un énorme utérus en feu.
Le monde est femelle comme l'est la création.
Et putain, impudique comme l'est la femelle.
Père. Fils. Esprit. Triangle sacré du pubis.
Le sexe-roi. C'est partout la famine.
Etreindre. Prendre. Jouir.
Le monde est vautré, nu, offert à la fornication dans sa splendeur maligne et dans sa purulence, tous ses abcès ouverts.
Sous les yeux même de l'innocence qui cherche.
La correspondance que la Marquise de Sévigné envoyait à sa fille est souvent évoquée, mais connaissons-nous celle que la fille envoyait à sa mère ? C'est ainsi que cette jeune fille raconte à sa mère ses jeux en termes naïfs.
Ah ! Vous dirais-je Maman, à quoi nous passons le temps avec mon cousin Eugène ?Sachez que ce phénomène nous a inventé un jeu auquel nous jouons tous les deux.
Il m'emmène dans le bois et me dit : "déshabille-toi ".
Quand je suis nue tout entière, il me fait coucher par terre,
et de peur que je n'aie froid il vient se coucher sur moi.
Puis il me dit d'un ton doux : "Écarte bien tes genoux"
Et la chose va vous faire rire. Il embrasse ma tirelire !
Oh ! vous conviendrez, Maman, qu'il a des idées vraiment....
Puis il sort, je ne sais d'où, un petit animal très doux.
Une espèce de rat sans pattes qu'il me donne et que je flatte.
Oh ! le joli petit rat ! D'ailleurs il vous le montrera.
Et c'est juste à ce moment que le jeu commence vraiment.
Eugène prend sa petite bête et la fourre dans une cachette
qu'il a trouvée, le farceur, où vous situez mon honneur.
Mais ce petit rat curieux, très souvent devient furieux.
Voilà qu'il sort et qu'il rentre, et qu'il me court dans le ventre.
Mon cousin a bien du mal à calmer son animal.
Complètement essoufflé, Il essaye de le rattraper.
Moi je ris à perdre haleine devant les efforts d'Eugène.
Si vous étiez là Maman, vous ririez pareillement.
Au bout de quelques instants le petit rat sort en pleurant.
Alors Eugène qui tremblote le remet dans sa redingote.
Et puis tous deux nous rentrons sagement à la maison.
Mon cousin est merveilleux Il connaît des tas de jeux.
Demain soir sur la carpette il doit m'apprendre la levrette.
Si vraiment c'est amusant, je vous l'apprendrai en rentrant.
Voici ma chère Maman comment je passe mon temps.
Vous voyez je suis très sage. Je fuis tous les bavardages.
J'écoute vos leçons. Je ne parle pas aux garçons.
ADDITIF : Klimt, Les Trois Âges de la femme
Klimt représente les trois âges de la femme :
- la jeune femme à l'enfant
- la Madone passive
- la vieille femme affligée
le tout en forme de croix ; la vie et la mort annoncée s'opposent...
Lilith, mère des démons
Reine des succubes
(Charles Baudelaire)
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,
O Beauté ? Ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l’on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore,
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l’enfant courageux,
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.
Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;
De tes bijoux, l’Horreur n’est pas le moins charmant ;
Et, le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L’amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l’air d’un moribond caressant son tombeau.
Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,
O Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton œil, ton sourire,ton pied, m’ouvrent la porte
D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ?
De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène,
Qu’importe, si tu rends, - fée au yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L’univers moins hideux et les instants moins lourds ?
Gustave Courbet, L'origine du monde
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici,
Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le regret souriant ;
Le soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce nuit qui marche.
Baudelaire
Pour les curieux, lire :
http://image.radio-france.fr/parvis/zsoissag.htm
Tamalou, rose ?
(auteur anonyme)
Mignonne, allons voir si l'arthrose
Qui ce matin tant m'ankilose
Depuis qu'a sonné mon réveil
Pour clore une nuit de sommeil
Aura perdu de sa vigueur
Après un footing d'un quart d'heure.
Las ! Voyez comme sont les choses,
Il faudrait que je me repose.
Mes maux, loin de se calmer
Las, las, ne cessent d'empirer.
Ô vraiment, marâtre nature
Avec l'âge la douleur perdure !
Donc, si vous m'en croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté
Avant que ne ternisse votre beauté,
Pour assouvir toutes envies
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie !
Affinités secrètes
(Théophile Gauthier)
Dans le fronton d'un temple antique,
Deux blocs de marbre ont, trois mille ans,
Sur le fond bleu du ciel attique,
Juxtaposé leurs rêves blancs ;
Dans la même nacre figées,
Larmes des flots pleurant Vénus,
Deux perles au gouffre plongées
Se sont dit des mots inconnus ;
Au frais Généralife écloses,
Sous le jet d'eau toujours en pleurs,
Du temps de Boabdil, deux roses
Ensemble ont fait jaser leurs fleurs;
Sur les coupoles de Venise
Deux ramiers blancs aux pieds rosés,
Au nid où l'amour s'éternise,
Un soir de mai se sont posés.
Marbre, perle, rose, colombe,
Tout se dissout, tout se détruit;
La perle fond, le marbre tombe,
La fleur se fane et l'oiseau fuit.
En se quittant, chaque parcelle
S'en va dans le creuset profond
Grossir la pâte universelle
Faite des formes que Dieu fond.
Par de lentes métamorphoses,
Les marbres blancs en blanches chairs,
Les fleurs roses en lèvres roses
Se refont dans des corps divers.
Les ramiers de nouveau roucoulent
Au coeur de deux jeunes amants,
Et les perles en dents se moulent
Pour l'écrin des rires charmants.
De là naissent ces sympathies
Aux impérieuses douceurs,
Par qui les âmes averties
Partout se reconnaissent soeurs.
Docile à l'appel d'un arome
D'un rayon ou d'une couleur,
L'atome vole vers l'atome
Comme l'abeille vers la fleur.
L'on se souvient des rêveries
Sur le fronton ou dans la mer,
Des conversations fleuries
Près de la fontaine au flot clair,
Des baisers et des frissons d'ailes
Sur les dômes aux boules d'or,
Et les molécules fidèles
Se cherchent et s'aiment encor.
L'amour oublié se réveille,
Le passé vaguement renaît,
La fleur sur la bouche vermeille
Se respire et se reconnaît.
Dans la nacre où le rire brille,
La perle revoit sa blancheur
Sur une peau de jeune fille,
Le marbre ému sent sa fraîcheur.
Le ramier trouve une voix douce,
Écho de son gémissement,
Toute résistance s'émousse,
Et l'inconnu devient l'amant.
Vous devant qui je brûle et tremble,
Quel flot, quel fronton, quel rosier,
Quel dôme nous connut ensemble,
Perle ou marbre, fleur ou ramier ?
La Maison du berger
(Alfred de Vigny)
Poésie ! ô trésor ! perle de la pensée !...
ô toi ! des vrais penseurs impérissable amour !
Comment se garderaient les profondes pensées,
Sans rassembler leurs feux dans ton diamant pur
Qui conserve si bien leurs splendeurs condensées ?
Ce fin miroir solide, étincelant et dur,
Reste des nations mortes, durable pierre
Qu'on trouve sous ses pieds lorsque dans la poussière
On cherche les cités sans en voir un seul mur.
Jan Vermeer, La jeune fille à la perle
A MON MAÎTRE...
Ne me prends pas pour esclave,
Car j'ai en moi le goût de la liberté.
Ne cherche pas à deviner mes secrets,
Car j'ai en moi le goût du mystère.
Ne me contrains pas aux caresses,
Car j'ai en moi le goût de la pudeur.
Ne m'humilie pas
Car j'ai en moi le goût de la fierté.
Ne m'abandonne pas,
Car j'ai en moi le goût de la fidélité.
Sache m'aimer et je saurai t'aimer
Car j'ai en moi le goût de l'amitié...
Le chat et l'oiseau
(Jacques Prévert)
Un village écoute désolé
Le chant d'un oiseau blessé
C'est le seul oiseau du village
Et c'est le seul chat du village
Qui l'a à moitié dévoré
Et l'oiseau cesse de chanter
Et le chat cesse de ronronner
Et de se lécher le museau
Et le village fait à l'oiseau
De merveilleuses funérailles
Et le chat qui est invité
Marche derrière le petit cercueil de paille
Où l'oiseau mort est allongé
Porté par une petite fille
Qui n'arrête pas de pleurer
Si j'avais su que cela te fasse tant de peine
Lui dit le chat
Je l'aurais mangé tout entier
Et puis je t'aurais raconté
Que je l'avais vu s'envoler
S'envoler jusqu'au bout du monde
Là-bas où c'est tellement loin
Que jamais on n'en revient
Tu aurais eu moins de chagrin
Simplement de la tristesse et des regrets
Il ne faut jamais faire les choses à moitié.
anarcho-agnostique et idéaliste pessimiste... et cyclothymique
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