Mais qu'est-ce que tu espères, Luette, toi qui proviens du latin perna "jambe" et de sphaerula "boule", comme nous l'affirme le bon docteur Rey qui en connaît un rayon sur tes origines ?
Petite esperluette, il me plaît de te voir comme le signe typographique qui signifie "et". Ce petit mot, juste deux lettres ici incluses l'une dans l'autre, ligaturées, ce n'est pas rien, un mot capable de relier deux choses, deux concepts, deux êtres, qu'ils soient contraires ou similaires... opposés ou en osmose... mais indispensables l'un à l'autre. La fourchette & le couteau, le vice & la vertu, le chat & la souris, l'homme & la femme, vous & nous, lui & moi, hier & demain...
Esperluette, tu es un joli mot, qui commence bien, en donnant l'espoir "esper", et qui se termine bien avec la finale "uette" qui viendrait du latin uvula, qui signifie "luette", ce petit appendice qu'on a au fond de la gorge et qui gratouille et qui chatouille...
Esperluette et Arobase (version soft)
J'aimerais vous raconter l'histoire d'Esperluette, une jeune fille qui habitait au pays Basque, dans le joli village d'Espelette. Elle cultivait, selon la tradition familiale, des petits piments qui séchaient en été sur le rebord de son balcon. Elle avait les joues aussi rouges que ses petits légumes. Un jour apparut au bout de la route un beau garçon, qui s'appelait Arobase et arrivait directement d'Arras, chef-lieu du Pas-de-Calais. Il arborait fièrement un tee-shirt portant la mention HOMME LIBRE, bien visible dans l'échancrure de sa chemise. Elle ne vit pas tout de suite qu'il traînait derrière lui une espèce de grand sac... Mais que contenait ce sac ? Un cadavre ? Celui d'un mari encombrant peut-être, car Arobase était un grand séducteur qui voulait mettre dans son lit toutes les femmes qu'il rencontrait sur sa route... et il n'était pas homme à se laisser barrer le chemin par quiconque ! Dès que ses yeux croisèrent ceux d'Esperluette, il sentit son coeur battre plus vite, une bouffée de sang lui monter au visage et, surtout, une bouffée de désir monter ailleurs... "Il me la faut", songea-t-il. Arobase mourait de faim, de soif, et de désir, lui qui depuis deux jours n'avait rencontré âme qui vive. La jeune fille, dès qu'elle le vit, se précipita vers lui, croyant, naïve, qu'elle pouvait lui être utile, prête à satisfaire ses désirs, qui pour elle se résumaient à manger, boire et dormir. Elle ignorait que l'homme a d'autres besoins que ceux-là, plus impérieux. La toute jeune fille ne connaissait rien des choses de l'amour et, dès que leurs lèvres se frôlèrent, elle se sentit envahie par une sensation nouvelle. Quelques heures plus tard, Arobase avait mangé et bu... et Esperluette avait perdu son pucelage... Arobase se sentait bien dans cette vallée verdoyante, il faisait de longues promenades en compagnie d'Esperluette, tantôt en escaladant les roches à la recherche des aigles, tantôt en cahin-cahotant à dos d'âne le long des sentes et des rus. Il avait laissé à l'auberge son grand sac encombrant. Un jour, Esperluette, curieuse comme toute femme, alors qu'Arobase sirotait au café l'une de ses nombreuses bières quotidiennes - où qu'il fût, il restait fidèle à sa boisson préférée -, se glissa dans sa chambre par la fenêtre entrouverte et se mit en quête du fameux sac. Il était tout simplement glissé sous le lit -élémentaire mon cher Watson ! Quelle ne fut sa surprise quand elle l'ouvrit : il contenait des lettres, des cartes postales, encore des lettres, et encore des cartes postales ! Assise par terre, elle se mit à les lire, ô la vilaine - une femme est encore plus curieuse quand elle est amoureuse. Il y avait là de tout, des courriers professionnels, des blagues de potaches envoyés par des copains, des photos porno, des lettres d'amour de femmes de tous horizons... Esperluette était abasourdie. Pourquoi, en ce début de XXIe siècle, accumuler tant de documents qui étaient - tous sans exception - parvenus par mail à leur destinataire, lequel avait pris soin de les imprimer chaque jour, sans même prendre la peine de les lire, reportant à plus tard cette tâche qu'il jugeait fastidieuse. D'un naturel profondément égocentrique, il n'envisageait pas un seul instant que ses correspondants attendaient une réponse à leurs missives. Esperluette était effondrée, elle tentait de comprendre les motivations d'Arobase. Ce soir, elle l'interrogerait. Mais pour l'instant elle continuait, fébrile, à tenter de comprendre qui était cet homme qui avait déclenché en elle le feu de la passion. Elle, dont le prénom était celui de la liaison, ignorait qu'Arobase portait un prénom destiné à séparer un être de son domaine. Le soleil disparaissait derrière les collines, se noyant probablement dans l'océan. Arobase, euphorique grâce aux quelques demis qu'il avait éclusés, se réjouissait de la partie de jambes en l'air à laquelle il n'allait pas tarder à se livrer. C'était mal connaître Esperluette. Quand il tenta de la prendre dans ses bras, elle eut tout d'abord un moment de recul. Mais, finaude, elle se gendarma et répondit à ses caresses, imaginant une vengeance bien plus pimentée... que je vous laisse deviner. Erreur grossière mais Esperluette était encore trop jeune pour savoir que la rédemption existe ; elle ignorait qu'Arobase avait trouvé à Espelette un havre de paix, qu'il désirait y poser ses bagages, et surtout son fameux sac, qu'il voulait brûler symboliquement avant de s'engager dans une nouvelle vie...
Le 14 juillet de cette année-là, au bal du village où il se rend pour retrouver ses potes et partager avec eux quelques demis, il remarque, assise à quelques tables de la sienne, une jeune fille réservée, petite brunette piquante dans sa robe de bal bleu ciel, Simone Varlope*. Il a le compas dans l'oeil, Rabot, et il n'est pas marteau. Il comprend vite qu'il va pouvoir enflammer cette jeune vierge et la culbuter tôt ou tard sur le siège arrière de sa petite voiture. Il la dévore du regard, et bientôt la donzelle se sent envahie d’une douce chaleur, elle lève les yeux, leurs regards se croisent… Elle rougit, ses mains se mettent à trembler, son cœur bat la chamade. Que lui arrive-t-il ? Elle ne connaît pas cet émoi qui envahit tout son être. Serait-ce l’amour ? Si seulement il voulait bien s’approcher, l’inviter à danser. Elle n’a plus qu’une idée en tête, qu’il l’enlace, qu’il la fasse tourbillonner au rythme de la musique qui rivalise avec les battements de son cœur. Lui ne fait pas un geste, indécis ; il voudrait saisir cette opportunité pour la serrer dans ses bras mais il n'aime pas danser. Ils sont irrésistiblement attirés l’un vers l’autre. Alors elle se lève, fait quelques pas vers lui et, timidement, lui demande : vous voulez bien danser avec moi ? Il ne peut refuser, tout étonné de cette hardiesse. Leurs corps se frôlent, leurs mains s’enlacent, ils savent tous deux que, dans quelques minutes, avant même la fin de cette première danse, leurs lèvres échangeront leur premier baiser.
Je vous fais grâce de la suite des événements, vous devinez aisément qu'il arriva ce qu'il devait arriver entre le grand Rabot et la petite Varlope ; elle était vierge, rapidement elle perdit son pucelage. Je pourrais aussi vous décrire leurs ébats torrides, ça vous plairait, hein ? Non, je ne mange pas de ce pain-là !
Sachez seulement qu’à partir de ce jour-là, elle n’est plus qu’attente, attente du moment où il viendra la rejoindre, attente de la pâmoison dans ses bras, attente de ses cris d’amour. Les premiers mois, elle seule compte pour lui, il ne met même plus les pieds dans la menuiserie paternelle, il préfère enfouir ses mains dans ses cheveux plutôt que dans la sciure, il préfère humer tous les replis de son corps. Les mois passent, il se lasse, il vient la voir de moins en moins souvent, il a fait d’autres rencontres, mais elle l'ignore. Elle continue à l’attendre, jusqu’au jour où elle se rend compte que son corps prend des formes nouvelles… elle est enceinte. C’est la honte dans ce petit village, à cette époque où l'on ne parle ni de contraception, ni d'avortement. ! L'informer de son état ? Certes pas, il n'en aurait cure. Ou alors aurait pitié. Alors elle fuit, elle accouchera n’importe où, elle s’en moque, et pourquoi pas dans une étable, d'autres l'ont fait avant elle et on en parle encore deux mille ans plus tard !
Lorsqu’elle mit au monde son enfant, un garçon, elle l’appela Guillaume. Il ne devint pas menuisier, mais ébéniste - bon sang ne saurait mentir ! A la mort de Rabot, qui n'avait appris que très tardivement de l'existence de son fils Guillaume, fruit de son amour avec Varlope, personne ne reprit l’affaire et la menuiserie fut rasée. Aujourd’hui, il y a, à sa place, un pizzaiolo qui fait de délicieuses pizzas cuites au feu de bois.