En 1998, Patrice Chéreau réalisait un film dont l’idée venait des obsèques du cinéaste François Reichenbach qui avait dit : "Ceux qui m'aiment prendront le train".
Un peintre, scandaleux et tyrannique, mort à Paris, a laissé sur son testament le souhait d'être enterré à Limoges, dont le cimetière est le plus grand de France, plus peuplé que la ville. Ses amis vrais et faux, ses amants et ex-amants, sa famille naturelle ou non, ses héritiers légitimes ou non, tous se retrouvent à la gare d’Austerlitz pour se rendre à l’enterrement. Durant ce moment douloureux, parfois unique moyen de réunir un clan - il y a des familles qui ne se réunissent qu'aux enterrements -, chacun fait le point sur sa vie. Ce train qui part en direction de Limoges devient un espace-temps privilégié de rencontres ou de fuites, mais aussi de règlements de comptes. Cet homme, en quittant ces vivants qu'il ne voulait pas laisser en paix, les laisse face à des questions que sa présence faisait oublier. Chéreau interroge tour à tour la paternité, le couple, l'avortement, la drogue, la normalité à travers un transsexuel, avec un regard incroyable de tendresse, de générosité, de respect, sur la singularité de chacun. Sous couvert d'enterrement, ce film examine le quotidien d'une quinzaine de personnages en crise, rassemblés autour d'un mort, dont la présence et le regard les faisait exister, qui ont perdu tout repère et se retrouvent obligés de se confronter les uns aux autres.
La plus belle description de ce film est celle-ci, que je vous livre en entier car on ne peut mieux en parler que Jean-Pierre Lavoignat le fit dans Studio magazine.
Un peintre vient de mourir et a choisi de se faire enterrer à Limoges. Ses amis, ses amants, les amis de ses amants, retrouvent les membres de sa famille pour faire le voyage en train. L’occasion de faire le point sur leurs vies. Les images qui s’entrechoquent, des gestes ébauchés saisis au vol, des regards échangés pris sur le vif, des dialogues qui se mélangent, des musiques qui s’enchaînent… La symphonie du monde, de ses battements de cœur et de ses déchirures. D’emblée, on est frappé par l’ambition, la qualité et la force de la mise en scène. Par ce mélange d’audace, de liberté, d’invention et d’ambition qui provoque comme un éblouissement. Tout le début de cet étrange voyage qui conduit vers une tombe est une des plus belles choses que l’on ait vue au cinéma depuis longtemps. Et une des plus résolument contemporaines. Comme si, dans le palais du cinéma, Patrice Chéreau venait d’ouvrir une porte restée mystérieusement fermée jusqu’ici. Il y dans ce Chéreau-là, à la fois quelque chose à la fois d’un peintre abstrait qui saurait donner vie à la matière et d’un médecin légiste qui mettrait à nu les sentiments. Lyrisme et lucidité, émotion et précision… Magnifique. Bien sur, le début de ce film, tout entier dans le mouvement et l’énergie, met la barre très haut. Et, même si Chéreau réussit par la suite un séduisant cocktail des genres et des tons, on ne pourra s’empêcher de regretter un peut qu’on ne se pose pas davantage. Ou que ce personnage du mort que Chéreau nous a furieusement donné envie de connaître, se dilue pour ne plus être que le révélateur des liens qui unissent ces êtres blessés, jetés dans la tourmente de l’amour et du désir.
Chacun réalise en effet ce qu’il était pour cet homme qu’on s’apprête à enterrer, et du coup, ce qu’ils sont tous, les uns par rapport aux autres. Et sur une bande originale superbe, des acteurs inspirés portent la douleur - et l’espérance - d’aimer jusqu’à l’incandescence. Leurs ombres tremblent sur les murs longtemps encore après que les feux se soient éteints.
Pourquoi parler de ce film plus de dix ans après sa sortie ? Parce que sa phrase-titre me traverse l’esprit souvent, très souvent. "Ceux qui m’aiment prendront le train." Des mots qui traduisent à la fois l’angoisse de la mort, la solitude, le désarroi, la carence du père ; mais aussi une forme de détachement, le fatalisme ; enfin, une petite note d’espoir. Des mots bien différents du péremptoire "Qui m'aiment me suivent" !
Viendrez-vous ?
Qui m'aime me suive ma paraît plus correct, non ?
Rédigé par : Le Nain | 26 février 2011 à 16:39
Oups ! J'étais dans le train du pluriel, j'en ai gardé l'allure !
Rédigé par : Caritate | 26 février 2011 à 16:48
Une phrase qui est un résumé exquis de la vie.
Rédigé par : JeanBalthazar | 26 février 2011 à 20:05
"Exquis", ce mot est exquis, bien plus que "courtois" !
Rédigé par : Caritate | 26 février 2011 à 21:00
Je serais bien incapable de prononcer pareille phrase (et d'ailleurs, j'aime pas Chéreau). Je la trouve limite cingle et possessive : ceux qui m'aiment feront ce qu'ils veulent !
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 27 février 2011 à 12:16
Mais Lily, je crois avoir compris que c'est ce que cette phrase veut dire. Il n'y a aucune obligation à prendre le train. Chacun fait fait fait, c'qui lui plaît plaît plaît...
Chéreau est pour moi un grand, j'ai aimé la plupart de ses films.
Rédigé par : Caritate | 27 février 2011 à 12:33
C'est drôle - ne m'en veux pas d'émettre un son discordant - mais je rapproche cette phrase du "Ne me quitte pas" de Brel, une des seules chansons du Grand Jacques que je déteste, pire, que je méprise: il y a pour moi dans ce "ceux qui m'aiment..." qqchose à la fois de vaniteux et de désespéré, de "je vous laisse libres tout en vous faisant otages de ma vie" qui m'insupporte. Je n'ai jamais aimé l'orgueil des victimes. Vas savoir...
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 27 février 2011 à 16:03
Mais pourquoi t'en voudrais-je d'avoir un avis différent ? Dans mon esprit, cette phrase est libératoire, mais je conviens qu'elle ne l'est pas forcément dans la bouche du héros du film éponyme. Quant à "Ne me quitte pas", ça frise l'odieux. Et Dieu sait que j'aime Brel !
Rédigé par : Caritate | 27 février 2011 à 16:40
J'aime ton "ça frise l'odieux" ! cette chanson me débecte à un point ! (et pourtant, moi aussi, comme j'aime Brel...)
Rédigé par : Valérie Pineau-Valencienne | 27 février 2011 à 17:10
Bien sûr, il est difficile de se tenir droit quand on est rejeté, mais de là à se répandre... Un peu de dignité, s'il vous plaît.
Rédigé par : Caritate | 27 février 2011 à 17:31
Il faut de tout/tous pour faire un monde et ne pas en faire un monde. Ceux qui m'aiment prendront le train car c'est à cela que je peux les reconnaître dans l'instant ; certains descendront à la prochaine gare et d'autres monteront, d'autres encore seront d'aimables rencontres sur le quai et y resteront.
Nous avons tous des trains à prendre et des quais à traverser.
Rédigé par : JeanBalthazar | 27 février 2011 à 17:41
Il y a les gens et il y a les trains. Qu'importe le train ? Non ! Il y a l'Orient-Express et le train des Pignes, il y a le train qui entre en gare et celui qui la quitte, il y a celui qui passe et ne s'arrête pas, il y a celui que l'on a raté ou celui dans lequel on est monté par erreur. Il y a aussi le train sous lequel on se jette, celui qui siffle dans le soir, celui qui déraille...
Au train où vont les choses...
Rédigé par : Caritate | 27 février 2011 à 18:14
Je te garde une place près de la fenêtre ! Si ma conversation t'ennuyait, tu pourrais te distraire au moins du paysage !
Rédigé par : JeanBalthazar | 27 février 2011 à 19:46
Si tu promets de ne pas parler de la pluie et du beau temps, j'accepterai même un strapontin, côté couloir.
Et s'il n'y a pas de strapontin dans les trains, alors ce sera la banquette en moleskine !
Rédigé par : Caritate | 27 février 2011 à 20:25