"Bénézet, prends ta houlette et descends jusqu'en Avignon, la capitale du bord de l'eau : tu parleras aux habitants et tu leur diras qu'il faut construire un pont."
En ce jour de l'an du Seigneur 1177, quand le soleil était à son déclin, un enfant du nom de Bénézet gardait les brebis de sa mère dans un pâturage.
Jésus Christ lui dit distinctement à trois reprises :
- "Bénézet, mon fils, entends la voix de Jésus Christ.
- Qui êtes-vous, seigneur, qui me parlez. J'entends votre voix mais ne vous vois pas.
- Ecoute donc, Bénézet, et n'aie point peur. Je suis Jésus Christ qui par une seule parole ai créé le ciel, la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment.
- Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?
- Je veux que tu quittes les brebis que tu gardes car tu me feras un pont sur le fleuve Rhône.
- Ne t'ai-je pas dit de croire ? Viens donc hardiment car je ferai surveiller tes brebis et te donnerai un compagnon qui te conduira jusqu'au Rhône.
- Seigneur, je n'ai que trois oboles et comment ferai-je le pont sur le Rhône ?
- Viens avec moi, je te l'apprendrai."
Alors Bénézet s'en alla, obéissant à la voix de Jésus Christ qu'il entendait mais ne voyait pas. Et en allant, il rencontra l'Ange, en tenue de pélerin, portant son bâton et sa besace, qui lui dit :
-"Suis-moi sans crainte et je te conduirai jusqu'au lieu où tu feras le pont de Jésus Christ et te montrerai comment t'y prendre."
Ils arrivèrent à la rive du fleuve. Voyant le grand fleuve, Bénézet fut frappé d'une grande peur et dit :
-"En aucune manière on ne peut ici faire un pont."
Et l'Ange lui répondit :
-"Sois sans inquiétude, car le Saint Esprit est en toi, regarde où tu dois passer et va en la cité d'Avignon et présente-toi à l'Evêque et à son peuple."
Ayant dit cela, l'Ange disparut à ses yeux.
Alors Bénézet s'en alla vers la barque et pria le batelier, pour l'amour de Dieu et de notre Dame Sainte Marie, de le passer dans la cité car il y avait à faire.
Et le batelier qui était juif lui répondit :
-"Si tu veux passer, tu me donneras trois deniers comme les autres." Bénézet le pria une autre fois pour l'amour de Dieu et de notre Dame Sainte Marie de le passer sur l'autre rive. Le juif lui dit :
-"Je n'ai que faire de ta Marie car elle n'a aucun pouvoir ni dans le ciel, ni sur terre. Plus valent trois deniers que ta Marie ; car il y en a assez de Maries."
Entendant cela, Bénézet lui donna les trois oboles qu'il possédait. Le juif vit qu'il ne pouvait obtenir davantage, prit les trois oboles et le passa.
Bénézet, entré dans la cité d'Avignon, alla trouver l'Evêque préchant son peuple :
Il lui dit à haute voix :
-"Ecoutez-moi et comprenez-moi, car Jésus Christ m'a envoyé vers vous afin que je fasse un pont sur le Rhône."
L'Evêque entendant ces paroles, le considéra comme possédé et atteint de folie et manda le prévot, viguier de la ville, pour qu'il l'écorche et lui arrache les pieds et les mains parce qu'il était un mauvais homme.
Entendant Bénézet qui aussitôt lui dit :
-"Mon seigneur Jésus Christ m'a envoyé en cette cité afin que je fasse un pont sur le Rhône."
Le viguier lui répondit :
-"C'est toi si chétif personnage et qui ne possède rien qui déclare que tu feras un pont où Dieu, ni Saint Pierre, ni Saint Paul, ni encore Charlemagne, ni aucun autre n'a pu le faire ? Ce serait merveilleux. Attends ; je sais qu'un pont est fait de pierre et de chaux je te donnerai une pierre que j'ai dans mon palais et si tu peux la remuer et la porter, je croirai que pourras faire le pont."
Bénézet, mettant sa confiance en notre Seigneur, retourna vers l'Evêque et lui dit qu'il le ferait aisément.
L'Evêque dit :
-"Allons donc, et voyons les merveilles que tu nous promets."
Il partit avec l'Evêque et le peuple avec eux, et Bénézet prit seul la pierre que trente hommes n'auraient pu déplacer, aussi légèrement que s'il se fût agi d'un caillou et la mit au lieu où le pont a son pied.
Les gens voyant cela crièrent au miracle et disaient que grand et puissant est notre Seigneur dans ses œuvres.
Et alors le viguier fut le premier à le nommer Saint Bénézet, lui baisant les mains et les pieds, et lui offrit trois cents sous, et dans ce lieu lui furent donnés cinq mille sous.
Maintenant vous avez entendu de quelle manière, frères, le pont fut commencé afin que vous tiriez profit de ce grand bienfait. Et Dieu fit nombre de miracles en ce jour, par lui il rendit la vue, fit entendre les sourds et marcher les paralytiques...
Et c'est ainsi que, selon la légende, mis au défit par les Avignonnais, le berger chargea une pierre énorme sur ses épaules et la jeta dans le Rhône, sous le regard de la foule ébahie, aidé dit-on par une intervention divine et même par des anges baignés d'une lumière dorée. Convaincus de la volonté divine, les habitants s'attelèrent rapidement à la tâche et construisirent l'édifice.
Témoin majeur de l'histoire d'Avignon, le pont Saint-Bénezet est construit à partir du XIIe siècle, puis plusieurs fois emporté par les crus du Rhône, avant d'être reconstruit et définitivement laissé en l'état au XVIIe siècle. A l'origine, il existait un pont antique en bois reliant Villeneuve à Avignon. C'est sur ces bases que fut bâti un premier pont dont les piliers étaient reliés probablement par des passerelles de bois. Il a été ouvert à la circulation dès 1184.
Ce pont, poste frontière entre l'État pontifical et le territoire de France, était l'un des seuls pour traverser le Rhône sur des kilomètres en amont et en aval, un bon moyen de collecter des taxes sous la forme d'un péage ou d'une aumône à saint Bénézet. Il a même été durant toute une période l'unique pont entre la ville de Lyon et la mer, ce qui en faisait alors un point de passage obligatoire pour de nombreux marchands, voyageurs, etc. Avant ce pont, on traversait ici le Rhône en barque.
Mais ce premier pont de l'époque romane est détruit jusqu'à la quatrième arche pendant le siège terrible que Louis VIII fit subir à la ville en 1226. A cette époque existait la confrérie de "l'oeuvre du pont", née de l'influence de Bénézet, regroupant 24 frères. Grâce à leurs quêtes incessantes et à l'habile utilisation des péages, ils peuvent entreprendre la construction d'un pont gothique en pierre sur les restes de l'ouvrage datant du XIIe siècle, sur le même principe de construction de ponts tout aussi fameux dans la région : le pont du Gard ou le pont Julien de Bonnieux.Le nouveau pont s'étire sur environ 900 mètres et compte quelques 22 arches. Au Moyen Age, le pont St Bénézet s'intègre sur l'un des plus importants itinéraires de pélerinage entre l'Italie et l'Espagne. Il va devenir indispensable à la cour pontificale qui s'installe en Avignon au XIVe siècle.
Très vite, les cardinaux s'installent à Villeneuve pour fuir les nuisances d'Avignon, qualifiée alors par le poète Pétrarque de "plus infecte et plus puante des villes de la terre". Le pont était à ce moment le lien le plus direct entre les multiples résidences que se faisaient édifier les cardinaux, et le Palais des Papes situé à l'intérieur des remparts d'Avignon. A chaque passage sur le pont, les Papes ont pour habitude de s'arrêter devant la chapelle de Bénézet pour prier un instant et laisser une aumone d'un florin.Le pont est pavé en 1377 sur ordre du cardinal de Blandiac, afin de remédier aux problèmes fréquents de glissades à l'origine de nombreux accidents et chutes dans le Rhône. Louis XIV est l'un des derniers à avoir franchi le Rhône avant son "effondrement" au XVIIe siècle, mais il ne voulut jamais payer sa restauration, malgré sa volonté d'en devenir propriétaire.
Du pont lui-même, il reste les quatre célèbres arches et la tour Philippe le Bel, du côté de Villeneuve-lès-Avignon. Du haut du Rocher des Doms, et avec un effort d'imagination, on peut alors reconstruire le passé : le fleuve tourbillonant, imprévisible, inquiétant, d'un niveau beaucoup plus élevé qu'aujourd'hui, l'ile de la Barthelasse, à peine en formation et la Tour Philippe le Bel à son extrémité, baignée par les eaux.
On ne connait pas vraiment l'origine ni l'auteur de cette chanson. Peut être date-t-elle du temps des guinguettes qui s'étaient établies au XIXe siècle sous les arches ruinées du pont dans l'île de la Barthelasse. La chanson, reprise par Adolphe Adam dans une opérette à la fin du XIXe siècle, devint une comptine dont le succès fit le tour du monde.
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