Il était une fois, au siècle dernier, un tout jeune homme, grand, beau, intelligent. Il s’appelait Serge Rabot. Il avait coutume de traîner ses guêtres dans l’atelier de son père, issu d’une longue lignée de menuisiers. Son grand-oncle, un certain Gepetto, avait, disait-on, créé un personnage en bois, un pantin, qui s’était animé. Mais ce ne pouvait qu’être une légende, bien sûr. La menuiserie convenait à son tempérament taciturne. Il aimait l’odeur chaude du bois, il savait en reconnaître les différentes essences ; plonger ses mains dans la sciure lui procurait un plaisir sensuel, pour ne pas dire sexuel. Mais il se sentait seul, pas de frère avec qui partager ses doutes d’adolescent ; une sœur, oui, mais on ne peut guère se confier à une fille ! Il allait, le soir, boire une chope de bière au café du village, où il retrouvait quelques copains, qui lui racontaient des blagues un peu salaces. Sa vie n’était pas trépidante, son avenir professionnel était tout tracé : pourquoi chercher à faire autre chose que poursuivre la tradition familiale ? Le 14 juillet, au bal du village où il se rend chaque année, quoique mauvais danseur, il remarque, assise à quelques tables de la sienne, une jeune fille réservée, petite brunette piquante dans sa robe de bal bleu ciel, Françoise Varlope. Il la dévore tellement des yeux que la donzelle se sent bientôt envahie d’une douce chaleur, elle lève les yeux, leurs regards se croisent… Elle rougit, ses mains se mettent à trembler, son cœur bat la chamade. Que lui arrive-t-il ? Elle ne connaît pas cet émoi qui envahit tout son être. Serait-ce l’amour ? Si seulement il voulait bien s’approcher, l’inviter à danser. Elle n’a plus qu’une idée en tête, qu’il l’enlace, qu’il la fasse tourbillonner au rythme de la musique qui rivalise avec les battements de son cœur. Lui ne fait pas un geste, indécis, il voudrait mais il n’ose. Pourtant, ils sont irrésistiblement attirés l’un vers l’autre. Alors elle, comprenant qu’il ne tentera pas de l’approcher, se lève, fait quelques pas vers lui et, timidement, lui demande : vous voulez bien danser avec moi ? Il ne peut refuser, tout étonné de cette hardiesse. Leurs corps se frôlent, leurs mains s’enlacent, ils savent tous deux que, dans quelques minutes, avant même la fin de cette première danse, leurs lèvres échangeront leur premier baiser. Je vous fais grâce de la suite des événements, vous devinez aisément ce qui se passe ensuite entre le grand Rabot et la petite Varlope, elle était vierge, rapidement elle ne le fut plus. Je pourrais bien sûr vous décrire leurs ébats torrides, ça vous plairait, hein ? Non non non, je ne mange pas de ce pain-là, et je laisse ce soin à des blogueuses qui affectionnent les propos triviaux. Sachez qu’à partir de ce jour-là, elle n’est plus qu’attente, attente du moment où il viendra la rejoindre, attente de la pâmoison dans ses bras, attente de ses cris d’amour. Les premiers mois, elle seule compte pour lui, il ne met même plus les pieds dans la menuiserie paternelle, il préfère enfouir ses mains dans ses cheveux plutôt que dans la sciure, il préfère humer tous les replis de son corps. Les mois passent, il se lasse, il vient la voir de moins en moins souvent, il a fait d’autres rencontres. Elle continue à l’attendre, jusqu’au jour où elle se rend compte que son corps prend des formes nouvelles… elle est enceinte. Damned ! C’est la honte dans ce petit village, je vous rappelle que l’histoire se passe au siècle dernier ! L'en informer ? Certes pas, il n'en aurait cure. Alors elle fuit, elle accouchera n’importe où, elle s’en moque, et pourquoi pas dans une étable, d'autres l'ont fait avant elle ? Lorsqu’elle mit au monde son enfant, un garçon, elle l’appela Guillaume. Il ne devint pas menuisier, mais ébéniste - bon sang ne saurait mentir ! A la mort de Rabot, qui n'avait appris que très tardivement de l'existence de son fils Guillaume, fruit de son amour avec Varlope, personne ne reprit l’affaire et la menuiserie fut rasée. Aujourd’hui, il y a un Mc’Do à la place.
Nom d'un p'tit bonhomme en bois ! Cette histoire est rondement vissée.
Rédigé par : Lucie | 10 janvier 2009 à 10:47
Lucie, quelqu'un qui ne serait pas d'un bois dont on se chauffe pourrait dire que cette histoire le taraude au point qu'elle lui reste chevillée au corps.
Rédigé par : Caritate Libertas | 10 janvier 2009 à 11:15
Je suis complètement scié ! Ouah, quel beau texte, on dirait une dictée. Cette bunette piquante était quand même une vraie petite varlope (pour l'époque), se laisser culbuter le premier soir, faut croire que Rabot lui avait montré sa belle chignole, alors elle est partie en vrille.
Rédigé par : Grincheux Grave | 10 janvier 2009 à 11:42
Saint Trusquin et son monde parallèle, c'est le pied.
Dis-je en coulisse.
Se tarauder la sphère, c'est pas un truc des âges tendres et tête de bois ?
Rédigé par : Lucie | 10 janvier 2009 à 11:55
Vous êtes complètement marteau Grincheux, mais avez le compas dans l'oeil (rapport à la culbute)
Rédigé par : Lucie | 10 janvier 2009 à 12:01
Vous êtes complètement marteau Grincheux, mais avez le compas dans l'oeil (rapport à la culbute)
Rédigé par : Lucie | 10 janvier 2009 à 12:02
Je suis à la masse, deux coups de maillets pour le même commentaire
J'ai des copeaux dans les yeux ce matin
Rédigé par : Lucie | 10 janvier 2009 à 12:04
Lucie, ne me dites pas que vous voudriez river son clou à un blogueur qui ferait partie de la génération "âges tendres et têtes de bois" ?
GG, je ne sais pas si c'était une petite Varlope - rien ne dit dans ce récit qu'elle a "fauté" le premier soir - mais ce qui est sûr, c'est qu'elle n'est pas restée de bois face au si beau Rabot. Je ne sais pas non plus s'il lui a montré une pièce bien chanfreinée, ou s'il l'a fait boire au point qu'elle a eu une sacrée gueule de bois ! Les gens se confiaient peu en ces temps reculés !
Je touche du bois (comme dirait Mikael Jackson) pour qu'Hélène ne tombe pas sur ce blog, il pourrait la raboter, euh pardon, rebuter !
Rédigé par : Caritate Libertas | 10 janvier 2009 à 12:12
Caritate, dans tous les cas, je ne fais pas la planche !
C'est qui Hélène ?*
*blague taillée à la scie sauteuse
Rédigé par : Lucie | 10 janvier 2009 à 12:27
On voit toujours mieux la sciure dans l'oeil de son voisin que les copeaux dans son propre oeil !
Rédigé par : Caritate Libertas | 10 janvier 2009 à 14:00
Pour donner une illustration sonore à ce billet magistral, pourquoi pas un chant des Petits Chanteurs à la Croix de Bois ?
Rédigé par : Grincheux Grave | 10 janvier 2009 à 15:16
Lucie, pourquoi deux coups de maillet ? Je ne connais que les coups de maillet frappant par trois !
Rédigé par : Caritate Libertas | 10 janvier 2009 à 17:45
Dans quel orient ?
Rédigé par : Booz | 10 janvier 2009 à 20:29