Sainte Politesse vivait au siècle dernier. C'était une charmante dame, qui avait traversé les ans en surmontant les épreuves de la vie, au visage empreint de bienveillance, toujours correctement habillée mais sans ostentation, employant un langage châtié. Elle était prévenante envers son entourage, ne manifestant jamais aucun signe d'agacement, et répondant naturellement aux sollicitations des uns et des autres.
Elle était la fille de Respect et d'Education, la soeur cadette de Savoir-vivre. Très modeste, elle s'étonnait toujours que tant d'écrivains aient pu parler d'elle :
Voltaire, par exemple, qui disait que la politesse est à l'esprit ce que la grâce est au visage.
Rousseau, que la véritable politesse consiste à marquer de la bienveillance aux hommes.
Colette, qui considérait qu'il est sage de verser sur le rouage de l'amitié l'huile de la politesse délicate.
Coluche, quant à lui, n'avait pas hésité, non sans humour, à affirmer que le comble de la politesse, c'est de s'asseoir sur son derrière et de lui demander pardon !
L'humour est peut-être la politesse du désespoir, comme le prétendait Georges Duhamel, mais elle pensait, comme Bergson, que la politesse est la grâce de l'esprit. Elle "fait paraître l'homme au dehors comme il devrait être intérieurement", reconnaissait La Bruyère.
Aujourd'hui, malheureusement, la politesse est un usage hors d'usage, et Politesse s'en émeut à chaque instant. Elle ne peut rien changer à l'évolution des mentalités, bien sûr, mais elle est blessée de voir comment sont rédigés les courriers (et courriels) qu'elle reçoit : bourrés de fautes la plupart du temps, méprisant les règles élémentaires d'orthographe et de grammaire - car pour elle, rédiger une belle lettre est une preuve de respect envers son destinataire. Elle s'indigne aussi fréquemment de ne pas avoir de réponses aux questions qu'elle pose à ses interlocuteurs, non par curiosité mais par intérêt pour autrui ; elle ne comprend pas cette indifférence qu'elle reçoit comme autant de coups de poing. Ou de n'obtenir que des réponses sybillines, ou reportées sine die. Qui sait encore dire merci, ce petit mot simple, qui est si touchant selon comment il est prononcé ? Elle s'insurge aussi contre la manière d'utiliser le portable : souvent il prend le pas sur une conversation "réelle", lors d'un repas ; parfois le destinataire jette un coup d'oeil rapide sur l'écran, visualisant ainsi qui l'appelle et, considérant qu'il est sans importance, ne prend même pas la peine de lui signifier qu'il va le rappeler dès que possible ; le plus souvent, même pas un bonjour, ni un bonsoir, encore moins un au revoir, rien, la communication est brutalement coupée, sans autre forme de procès, à croire que la liaison ne passe plus, ou que le téléphone est tombé brutalement en panne !
Pourquoi tant d'incommunicabilité en cette époque de développement forcené des moyens de communication ?
On lui reproche parfois d'être obsolète, alors qu'elle se sent intemporelle.
Mais peut-être fait-elle fausse route. Peut-être n'est-elle qu'une vieille peau qui se raccroche à ses derniers vestiges. Non, elle ne peut s'y résoudre, elle sait tout au fond d'elle-même que ceux qui ne la respectent pas n'ont aucun égard pour leurs semblables, qu'ils ne connaissent ni la charité, ni l'empathie ! Mais elle décide, avec sagesse, de ne plus se tourmenter, de faire "comme si", de traiter tous ces comportements goujats avec un peu plus de légèreté. D'ailleurs, a-t-elle le choix si elle veut survivre dans cette jungle d'incivilité ? C'est dit, elle va se constituer une carapace d'indifférence dans laquelle elle se réfugiera, même si elle craint qu'ainsi elle devienne à son tour un être appauvri, au coeur sec. Car ainsi va la vie !
Allez, un petit chef d'oeuvre d'élégance, de style et de préciosité dans un monde gorgé de mots malsonnants, voire grossier nous changera du temps gris et pluvieux qui nous mine le moral:
Le vase où meurt cette vervaine
D'un coup d'éventail fut fêlé ;
Le coup dut l'effleurer à peine,
Aucun bruit ne l'a révélé.
Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D'une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.
Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s'est épuisé ;
Personne encore ne s'en doute,
N'y touchez pas, il est brisé.
Souvent aussi la main qu'on aime
Effleurant le coeur, le meurtrit ;
Puis le coeur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt ;
Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde :
Il est brisé, n'y touchez pas.
Sully Prudhomme
Rédigé par : Le Nain | 21 janvier 2010 à 17:13
Le contenu est à la hauteur du contenant... ou l'inverse.
Merci Le Nain, merci Sully Prudhomme.
Je ne suis pourtant pas certaine que ce poème soit apte à nous remonter le moral ; sur moi, il a l'effet inverse. Vous avez le don de mettre le doigt là où ça fait mal !
Rédigé par : Caritate | 21 janvier 2010 à 17:27
Sainte Politesse est ma soeur de coeur, celle que je ne rencontre plus guère, mais qui m'accompagne en filigrane et me guide depuis mon enfance....
Merci Caritate pour ce beau texte.
Je ne connaissais pas ce poème de Sully Prudhomme, merci Monsieur Le Nain.
Rédigé par : Tatami | 21 janvier 2010 à 21:29
Je connais bien le professeur Paul Hitaisse, héros du livre "Le convive comme il faut", un livre de Philippe Dumas édité par l'Ecole des loisirs. Ce guide des usages de la table pour les gourmands qui veulent être réinvités est destiné aux enfants. C'est très drôle, les enfants rient beaucoup et il est ensuite très facile lors du repas suivant de leur apprendre les bonnes manières. Une planche de bons points illustrés d'un ange et une planche de mauvais points illustrés d'un cochon permettent de récompenser ou de stigmatiser la tenue des chers trésors et de créer une saine émulation. Un ouvrage recommandé aussi aux grandes personnes.
Rédigé par : Grain de poivre | 21 janvier 2010 à 21:54
Elle m'est sympathique votre Sainte Politesse , Cari Li et puis j'ai bien ri avec Coluche ... je sors de chez vous le sourire aux lèvres . Merci et bon week-end .
Rédigé par : Julie | 30 janvier 2010 à 11:28
Julie, ne serait-ce point plus poli à son encontre que d'écrire in extenso Caritate Libertine ?
Rédigé par : Dominique | 02 février 2010 à 12:20